TROISIÈME PROJECTION

LES OLYMPIADES

Le 21 septembre 2022, nous avons la joie d’accueillir: 

Jacques AUDIARD réalisateur du film « LES OLYMPIADES »

et

MARION GAILLARD, cadreuse et cadreuse steadicam du film.

Marion est la première cadreuse steadicam en France.

C’est la première fois que nous recevons un réalisateur.

Jacques et Marion parlent de steadicam, de cadrage, de mise en scène. Leur complicité est belle, fait plaisir à voir.

La bonne humeur et l’humour sont de la partie.


Richard Mercier mène la discussion, nous retrouvons parmi le public Valentin Monge et Noël Véry qui vont participer à la discussion et certains spectateurs réussissent à poser des questions.




Laissons-leur la parole:


LA RENCONTRE 


Jacques Audiard: Je voudrais raconter comment on s’est rencontré: j’ai fait la connaissance de Marion sur 2 épisodes de la série « Bureau des légendes », elle était donc cadreuse. Sur les films que j’ai fait antérieurement, quand il y avait du stead, on appelait un steadicamer - c’était sur le plan de travail - et quelqu’un arrivait avec son matériel et à vrai dire je ne savais pas du tout m’en servir. La première fois il est même resté sur son pied toute la journée.

 Je rencontre Marion sur « Le bureau des légendes » et je découvre avec la série un plateau technique que je n’avais jamais connu au cinéma: 2 caméras en permanence, un steadicam dans le camion si on voulait, une dolly, toute la boite à outil… 

A un moment donné je m’étais pris d’amour pour la petite Aaton 35, alors là j’en avais 2, mais je n’avais pas de steadicam et c’est sur « Le bureau des légendes » que j’ai appris un peu à m’en servir parce que Marion était là - elle ne poussait pas à la roue mais elle était là - et c’était la possibilité d’avoir 2 caméras. Pour moi le steadicam fait partie de la deuxième caméra. Ce que j’aime ce sont les cadres de Marion. 






COMMENT FILMER UN PLAN


Marion: On est là pour raconter une histoire. Quel outil on utilise, ça n’a pas tellement d’importance.

Jacques: L’outil steadicam va amener à penser aux raccords. Quand je suis sur  le découpage, c’est pas une chose à laquelle je pense forcément, je pense à des valeurs de champ, au personnage dans l’espace. Mais le raccord -déjà ce rapport avec le montage- c’est vraiment sur le tournage, et le stead, ça aide beaucoup, c’est très très stimulant; ça, plus le mouvement dans la comédie.

Richard: Au niveau de la direction du steadicam, au moment de la mise en place, tu diriges complètement le plan ou est-ce que Marion a une liberté?

Jacques, à Marion: Tu te souviens?

rires

Marion: Tout est logique, une fois que la scène est mise en place

Jacques: Et là on décide comment on va la faire…

Marion: Oui

Jacques: Donc il n’y a pas de pensée antérieure du steadicam…

Marion: Non.
Jacques, il découpe tout avant, après on met en place et là il dit « j’me fais chier là, ça m’emmerde » et on change. Et il trouve - parce qu’il a une idée toutes les minutes - il trouve une autre manière de faire, et tout est logique.

Jacques: En fait, il faut faire jouer…

Marion: …et le reste suit.

Jacques: A part pour les scènes d’action - où tout doit être au cordeau - la seule vérité, ce sont les comédiens.

Marion: Ce sont eux qui donnent le rythme, et le vocabulaire.

Jacques:
   Je m’aperçois d’une chose: Les 2-3 premiers films, j’avais un découpage dans lequel je m’enfermais et je passais beaucoup de temps à le casser, c’était une double peine.
Maintenant c’est beaucoup plus fluide, c’est plus simple: je n’ai plus peur du tout d’avoir une sorte de découpage, simple, souple dont tout le monde se fout… c’est pour avoir une conversation avec l’assistant le matin mais il nous connait et il sait qu’on va tout bazarder assez vite.
Et là va venir l’idée ou non du steadicam mais le truc important est de penser  toujours « 2 caméras ». C’est marrant de se mettre dans la pensée: « 2 caméras, comment on va faire marcher tout ça? ». Parfois ça ne marche pas du tout.





PARTAGE D’EXPÉRIENCE DE MISE EN SCÈNE:


Jacques: J’ai eu une leçon assez forte au début de « Un prophète ». C’était en prison, -il y avait les personnages principaux et puis la vie- et je faisais un petit peu comme d’habitude -l’habitude c’était les films que j’avais fait avant, je n’en avais pas fais tant que ça- mais j’essayais de mettre en place les comédiens, deux ou trois comédiens, et puis quand ça commençait à être bien je mettais en route le fond.
Et bien là, je n’avais rien compris, c’est idiot, parce que ce qui doit venir en premier c’est la vie. La vie, c’est le fond, ce n’est pas les 3 comédiens que vous avez devant. Et donc à partir de là j’ai compris qu’il fallait lancer la rue, il faut lancer la vie, faut lancer tout ça et là dedans on met les comédiens et toute la vie va interagir sur le jeu, ils devront parler plus fort, ils devront jouer avec ça.
Et le steadicam j’avais peut-être du mal car mine de rien il faut lui faire le chemin au steadicam.

Marion et Valentin (de concert): Ça prend de la place un steadicam!

(…)

Noël: Est-ce que vous avez l’impression que d’avoir un steadicam à disposition, toute la longueur du film a changé votre façon de mettre en scène? J’ai fait pas mal de steadicam dans ma vie et j’ai vraiment vu des réalisateurs qui évoluaient.

Jacques: C’est possible. Oui je pense et notamment si on parle de dynamisme - c’est assez précis ce que je disais sur le fait que j’ai eu du mal à faire rentrer le steadicam dans mon système d’ébullition, de percolation que je mettais en route mais une fois que le steadicam est arrivé, j’ai compris qu’il  fallait l’inclure dedans et que ça donne une fluidité, quelque chose qui est agréable aussi quand on ne le voit pas, quand on ne le note pas.

Marion: On ne le voit pas mais on le ressent

Jacques: Oui on le ressent mais c’est peut-être juste l’interaction avec les comédiens que vous ressentez

(….)

Jacques: J’ai oublié quelque chose d’important. Pour moi, comme pour beaucoup, le steadicam a remplacé les rails et le travelling, la dolly. Parce que avant, quand il y avait un mouvement, j’entendais l’assistant qui disait « on sort les rails »… et je me disais "ah ça y’est on va ressortir le train électrique, le machin"…. et les rails, c’est au sol, c’est calé, j’avais cet espèce de complexe et le steadicam est arrivé là dessus… Ça nous est arrivé de faire des essais de mouvement, ça n’allait pas, hop on prenait la caméra comme ça.
(…)
C’est facile avec Marion, on discute, elle dit oui, non, c’est tout; on fait pas un caca nerveux sur le steadicam. Elle dit « Je vais la prendre à la main, comme ça tu vas arrêter de parler »





LE PARCOURS DE MARION


Une spectatrice: Comment as-tu commencé à faire du stead? Comment les débuts se sont passés?

Marion:  J’étais assistante caméra et j’étais seconde de beaucoup de premières qui voulaient passer au cadre et qui n’y arrivaient pas. J’étais assistante de pas mal d’opérateurs stead et un jour je me suis dit que si je voulais évoluer, j’allais prendre cet outil que aucune femme n’avait pris pour le moment, qu’il fallait faire quelque chose de particulier pour rester à l’échelon de cadreur.
Je n’ai jamais voulu être chef op, le cadre, j’adore ça et j’avais vraiment envie de ce poste là. J’ai pris cet outil là pour passer au cadre et ça a marché. Le fait d’être la première j’avoue que ça a sans doute aidé.
Au début, j’ai fait des séries, j’ai fait plein de petits trucs. Je faisais une série qui s’appelle P.J. comme assistante caméra et Philippe Dorelli, l’opérateur stead m’a fait faire des petits plans.
Je me suis beaucoup entrainée.
Pour commencer, j’ai appelé « Plus belle la vie » et je leur ai dit que j’étais opérateur stead - je n’avais fais que quelques courts métrages, je n’avais pas de matériel et c’était galère - et je me suis dis: « si je me fais virer de « Plus belle la vie » c’est pas grave , par contre, je vais pouvoir apprendre beaucoup ». C’est un très bon exercice parce que tu fais des semaines entières où tu portes toute la journée parce qu’il n’y a pas de machinerie, y’a rien, c’est un super exercice. Et petit à petit, j’ai eu de plus en plus de propositions.

Jacques: Et tu t’es senti faisant des progrès?

Marion: Oui

(…)

Jacques: Et le long métrage, ça vient quand?

Marion: Ça vient bien bien plus tard.
Je fais beaucoup de séries parce que je n’aime pas trop faire des jours à droite à gauche, on n’a pas le temps de rencontrer les gens. Sur les longs métrages, c’est souvent une date, à droite, à gauche et j’aime faire les films en entiers.
Chaque réalisateur cadre différemment, a une image différente; mon travail c’est de rentrer dans ce moule là et en écoutant le réalisateur, faire l’image dont il a envie et je trouve que en une journée j’ai du mal à cerner la personnalité du réalisateur.

Jacques: On t’a jamais appelé simplement comme cadreuse?

Marion: Si aussi, de plus en plus, mais sur les séries, même si le chef opérateur cadre, je tiens la deuxième caméra.





ÊTRE FEMME EN CE MÉTIER


Valentin Monge: L’opérateur personnalise beaucoup le steadicam, alors le stead au féminin? Il parait que c’est physique le steadicam.

Marion: On le sait très bien: ce n’est qu’une histoire d’affinités entre personnes, si à ce moment là on parle la même langue, ça marche, qu’on soit un homme ou une femme, on s’en fout.

Jacques: Oui enfin on s’en fout…. Quand je commence à faire de la réalisation, en 1994, les équipes techniques elles sont masculines, on va pas se voiler, j’ai failli arrêter.
Moi j’ai un problème avec ça: le côté « la légion saute sur Kolwezi », les couilles bien en avant comme ça…. (signe « ça suffit »).
  Au deuxième film j’ai mis le hola. C’est vraiment un bienfait, c’est une chose très très heureuse que les chefs de poste technique soient des femmes… J’ai des chefs de poste qui sont des techniciennes et c’est très bien comme ça, que ce soit agréablement équilibré. Après on trouve des sales cons toujours.
Je recherche des équipes de machino féminines maintenant; les filles électro, je les ai vues arriver, c’est vachement bien.

Richard: Nous ce qu’on voulait laisser transparaitre sur l’affiche, ce n’est pas du tout est-ce qu’il y a un ressenti plus féminin pour l’exécution d’un plan au stead - ce n’est pas la question - mais c’est le fait que ce métier devient aussi un métier féminin, tout simplement.

Jacques: Pourquoi d’après vous: parce que dans le cinéma les professions se féminisent?
Je me souviens d’un truc, je voulais avoir une cadreuse, c’était sur de la pub, la caméra pesait une tonne, elle mesurait 1m63, il y avait un problème; c’était soit changer la cadreuse, soit changer la caméra et c’est vrai que ça n’allait pas. Maintenant le matériel a changé beaucoup, maintenant c’est très très flexible.

Valentin: Ce sont des ordinateurs

Richard: Effectivement, je trouve que le milieu du cinéma a changé beaucoup, par rapport à l’époque de la pellicule de par l’évolution technologique mais aussi parce que la société est en train de changer, la société maintenant donne la place aux femmes à tous corps de métiers. c’est normal que dans le cinéma aussi on ait ce phénomène de société puisque le microcosme cinéma, c’est une petite proportion de la société qui fonctionne de la même façon. On a des électro femmes; des machinos femmes, de plus en plus. Maintenant c’est rare que dans les équipe électro - machino il n’y ait pas une femme.

Marion: Après moi j’ai envie de vous dire, les filles allez-y parce qu’on est quand même que trois!!!

rires

Richard: 3 à l’AFCS.

Marion: Allez, on est 6!

Richard: Il y a des filles qui font du stead et qui ne sont pas encore à l’AFCS.

Jacques: Quelle est la proportion dans les écoles comme la FEMIS par exemple de cadreur/cadreuse?

Valentin: Dans les stages, la proportion c’est à peu près 30% de femmes, sur les gros stages à l’international

Richard: Par rapport aux écoles, je ne sais pas trop mais on a un curseur qui va nous donner une indication précise: il y a un organisme de formation en France -planning caméra- et ils ont un pourcentage de femmes à la formation qui est très très peu: 5-10%. Ce chiffre là donne le reflet de ce qu’on va retrouver ensuite dans la profession.

Jacques: C’est des trucs que je ne m’explique pas du tout. par exemple pour le son: Je n’ai pas trouvé de mixeuses mais pourquoi, c’est ça que je ne comprends pas, alors que le montage « en veux tu en voilà ». Preneur de son c’est un métier assez ingrat, on finit toujours dans un coffre de bagnole, on est sous la pluie…

(…)
Valentin: C’est pas tout à fait la réalité Jacques, il y a vraiment des ingénieurs du son femmes, des perchman femmes.

Jacques: J’ai connu des perchwoman mais à la prise de son, je n’en ai pas vu beaucoup.

Valentin: Il n’y en pas beaucoup mais elles sont là. De même que les cadreuses opératrice steadicam, il y en a depuis longtemps -Elisabeth Ziegler fait « Eyes Wide Shut ». En france elles n’ont pas tenu parce que le steadicam n’est pas en place, le steadicam n’est pas complètement bienvenu.

Jacques: Ma réflexion elle était plutôt: Vous allez aujourd’hui dans une classe scénario FEMIS: majorité de femmes, elles sont toutes réalisatrices derrière; en réalisation, c’est surtout des mecs, qui sont très rarement réalisateurs. Au montage, beaucoup de femmes -j’étais monteur, j’étais un des rares, c’était très très féminin et après il y a des choses que je ne m’explique pas: cadreuse, le steadicam n’en parlons pas, le son…

Un spectateur: Le steadicam c’était aussi basé pas mal sur le physique, moi j’ai commencé avec Marion, il y a 15 ans, les machines étaient lourdes, quand je m’entrainais avec elle, elle me mettait à l’amende sur le physique, je me demandais si c’était fait pour moi aussi.

Jacques: Elle m’a dit que c’était un truc de grâce, chorégraphique, c’est pour ça qu’elle a un corps de danseuse

Marion: Ce n’est pas une question de puissance, ça n’a rien à voir avec la puissance. c’est lourd mais le corps apprend beaucoup.
La difficulté du steadicam, ce n’est pas sa lourdeur, c’est sa légèreté.

Jacques: Tu peux développer ce paragraphe stp?

Marion:
c’est le petit coup… et il part dans tous les sens

Valentin: Tu ne peux pas avoir un rapport de force physique avec le steadicam; il te renvoie ta propre force, tu l’annules.




A PROPOS DE  LA DIRECTION DES COMÉDIENS


Un spectateur: Bonsoir merci beaucoup et merci pour votre art en général; je suis très admiratif de votre humanité et de votre intelligence. Je ne sais pas si je suis un peu un OVNI ici mais je ne suis pas cadreur et j’aurais aimé ouvrir un autre chapitre sur la direction d’acteur, parce que c’est une direction d’acteur extraordinaire et assez légendaire.
j’ai croisé par exemple la route de Mohamed Belhamar que j’aime infiniment et il dit par exemple qu’il a tout appris de vous, à ce niveau là. Et c’est vrai qu’on voit des fois des acteurs formidables dans vos films qui le sont moins dans d’autres.


Jacques: Le truc c’est quand même assez simple, si ils ne sont pas bons, moi je risque ma peau… ils n'ont pas le choix

Spectateur: Ils sont bons à la base mais vous les amenez ailleurs encore.

Jacques: Je peux juste parler de cette expérience dont est issue le film qui posait un problème spécifique; Lucie qui n’avait jamais joué de sa vie, qui était étudiante à Dauphine, Makita, qui vient essentiellement du théâtre, du conservatoire, Jenny Beth avait une expérience vraiment de cinéma, et celle qui avait le plus d’expérience de cinéma, c’était Noémie. Donc il fallait mettre tout ça sur la même étagère. Et donc le gros travail, ça a été de les faire jouer, de les faire répéter, on a travaillé 3 mois.
On a fait une chose à la fin qui était marrante: j’ai demandé à ce qu’on loue le théâtre du Rond-Point, et j’ai mis tous les comédiens au milieu, et nous, tous les techniciens, on était en face et puis ils ont joué le film in extenso.
On avait tous peur mais on a vu beaucoup de choses ce jour là, on a vu beaucoup beaucoup de choses.

Marion: Même les gens qui avaient une phrase, tout le monde était là, c’était super.

Jacques: On a du faire ça un vendredi et le lundi suivant on commençait le tournage; je pense que si on n’avait pas fait ça, avec cette disparité… si je n’avais pas répété, si je n’avais pas fait cette répétition générale, avec la disparité de jeu, ça aurait été très pénible, on aurait fait ça en 10 semaines

Marion: Oui et puis les deux histoires se sont imbriquées ce jour là, on a vu quelle envergure allait prendre le film.

Jacques: Et puis comment le filmer, l’importance des scènes à 2, du dialogue, les distances, c’était très utile.





UNE BELLE CONCLUSION


Une spectatrice: Est-ce que pour les acteurs qui n’avaient pas l’habitude de jouer, avec le steadicam, ça a été encore plus intrusif et compliqué pour eux?

Marion: Ça leur donne une liberté.

Spectatrice: Est-ce qu’il y a quelque chose au niveau du ressenti, du rythme, de la respiration, y’a quelque chose d’encore plus fort je trouve

Jacques: à cause du steadicam?

Spectatrice: oui

Jacques: On peut s’approcher très près très très doucement, c’est comme ça que je vois un peu les choses, donc oui peut-être que ça favorise cette chose là, peut-être que ça peut amener quelque chose de charnel. C’est très difficile pour moi d’avoir des réponses précises à ça je ne sais pas...

Marion: Je crois que c’est bien de ne pas tout intellectualiser puis de vivre les choses, ça se passe comme ça se passe

Noël: est-ce que vous pourriez faire un film sans steadicam maintenant?

Jacques: Oui sans doute

Valentin: Mais pas sans Marion...

Jacques: Mais pas sans Marion!


Un immense merci à
Jacques Audiard
et
Marion Gaillard 

ainsi qu’aux 76 spectateurs!

Fabienne Roussignol